TRIOMPHE, destinée ! Enfin, ton heure arrive.
O peuple, tu ne seras plus.
Il n'errera bientôt de toi sur cette rive
Que des mânes inconnus.
En vain le soir, du haut de la montagne,
J'appelle un nom : tout est silencieux.
O guerriers, levez-vous ; couvrez cette campagne,
Ombres de mes aïeux ! "
Mais la voix du Huron se perdait dans l'espace
Et ne réveillait plus d'échos,
Quand, soudain, il entend comme une ombre qui passe,
Et sous lui frémir des os.
Le sang indien s'embrase en sa poitrine ;
Ce bruit qui passe a fait vibrer son coeur…
Perfide illusion ! au pied de la colline,
C'est l'acier du faucheur !
-" Encor lui, toujours lui, cerf au regard funeste
Qui me poursuit en triomphant.
Il convoite, déjà, du chêne qui me reste
L'ombrage rafraîchissant.
Homme servile ! il rampe sur la terre ;
Sa lâche main, profanant des tombeaux,
Pour un salaire impur va troubler la poussière
Du sage et du héros.
" Il triomphe, et semblable à son troupeau timide,
Il redoutait l'oeil du Huron ;
Et lorsqu'il entendait le bruit d'un pas rapide
Descendant vers le vallon,
L'effroi, soudain, s'emparait de son âme :
Il croyait voir la mort devant ses yeux.
Pourquoi dès leur enfance et le glaive et la flamme
N'ont-ils passé sur eux ? "
Ainsi Tariolin, par des paroles vaines,
Exhalait un jour sa douleur :
Folle imprécation jetée aux vents des plaines,
Sans épuiser son malheur !
Là, sur la terre, à bas gisent ses armes,
Charme rompu qu'aux pieds broya le temps.
Lui-même a détourné ses yeux remplis de larmes
De ces fers impuissants.
Il cache dans ses mains sa tête qui s'incline,
Le coeur de tristesse oppressé :
Dernier souffle d'un peuple, orgueilleuse ruine
Sur l'abîme du passé !
Comme le chêne isolé dans la plaine,
D'une forêt noble et dernier débris,
Il ne reste que lui sur l'antique domaine
Par ses pères conquis.
Il est là, seul, debout au sommet des montagnes,
Loin des flots du Saint-Laurent ;
Son oeil avide plonge au loin dans les campagnes
Où s'élève le toit blanc.
Plus de forêts, plus d'ombres solitaires ;
Le sol est nu, les airs sont sans oiseaux ;
Au lieu de fiers guerriers, des tribus mercenaires
Habitent les coteaux.
" Que sont donc devenus, ô peuple, et ta puissance
Et tes guerriers si redoutés ?
Le plus fameux du nord jadis par ta vaillance,
Le plus grand par tes cités.
Ces monts couverts partout de tentes blanches,
Retentissaient des exploits de tes preux
Dont l'oeil étincelant reflétait sous les branches
L'éclair brillant des cieux.
" Libres comme l'oiseau qui planait sur leurs têtes,
Jamais rien n'arrêtait leurs pas.
Leurs jours étaient remplis et de joie et de fêtes,
De chasses et de combats.
Et dédaignant des entraves factices,
Suivant leur gré leurs demeures changeaient ;
Ils trouvaient en tous lieux des ombrages propices,
Des ruisseau qui coulaient.
" Au milieu des tournois sur les ondes limpides
Et des cris tumultueux,
Comme des cygnes blancs dans leurs courses rapides,
Leurs esquifs capricieux,
Joyeux voguaient sur le flot qui murmure
En écumant sous les coups d'avirons.
Ah ! fleuve Saint-Laurent, que ton onde était pure
Sous la nef des Hurons!
" Tantôt ils poursuivaient de leurs flèches sifflantes
Le renne qui pleure en mourant,
Et tantôt, sous les coups de leurs haches sanglantes
L'ours tombait en mugissant.
Et, fiers chasseurs, ils chantaient leur victoire
Par des refrains qu'inspirait leur valeur.
Mais pourquoi rappeler aujourd'hui la mémoire
De ces jours de grandeur ?
" Hélas ! puis-je, joyeux, en l'air brandir ma lance
Et chanter aussi mes exploits ?
Ai-je bravé comme eux, au jour de la vaillance,
La hache des Iroquois ?
Non, je n'ai point, sentinelle furtive,
Jusqu'en leur camp surpris des ennemis ;
Non, je n'ai pas vengé la dépouille plaintive
De parents et d'amis.
" Tous ces preux descendus dans la tombe éternelle
Dorment couchés sous ces guérets ;
De leur pays chéri la grandeur solennelle
Tombait avec les forêts.
Leurs noms, leurs jeux, leurs fêtes, leur histoire,
Sont avec eux enfouis pour toujours,
Et je suis resté seul pour dire leur mémoire
Aux peuples de nos jours !
" Orgueilleux, aujourd'hui qu'ils ont mon héritage,
Ces peuples font rouler leurs chars,
Où jadis s'assemblait, sous le sacré feuillage,
Le conseil de nos vieillards.
Avec fracas leurs somptueux cortèges
Vont envahir et profaner ces lieux !
Et les éclats bruyants des rires sacrilèges
Y montent jusqu'aux cieux !
" Mais il viendra pour eux le jour de la vengeance,
Et l'on brisera leurs tombeaux.
Des peuples inconnus comme un torrent immense
Ravageront leurs coteaux.
Sur les débris de leurs cités pompeuses,
Le pâtre assis alors ne saura pas
Dans ce vaste désert quelles cendres fameuses
Jaillissent sous ses pas.
" Qui sait ? peut-être alors renaîtront sur ces rives
Et les Indiens et leurs forêts ;
En reprenant leurs corps, leurs ombres fugitives
Couvriront tous ces guérets;
Et se levant comme après un long rêve,
Ils reverront partout les mêmes lieux,
Les sapins descendant jusqu'aux flots sur la grève,
En haut les mêmes cieux ! "